Gabon : le face-à-face Oligui Nguema–Ondo Ossa, une bataille d’horizons irréconciliables

2025-06-10 14:22:00
La dernière sortie médiatique du Pr. Albert Ondo Ossa, le 8 juin 2025, marque une étape décisive dans le paysage politique post-transition du Gabon. Par son refus catégorique de toute collaboration avec le président de la transition, Brice Clotaire Oligui Nguema, le leader de la plateforme Alternance 2023 ne se contente pas de se positionner en opposant : il revendique une contre-légitimité. Et cela constitue un tournant majeur dans la recomposition politique en cours.
En déclarant que « qu’on le veuille ou non, il y a deux forces en présence : Oligui, la force militaire, et moi, la légitimité populaire », Ondo Ossa redéfinit le champ politique gabonais en des termes binaires et explosifs. Il oppose :
- Une autorité issue d’un coup de force militaire, certes adoubée par une partie du peuple, mais sans passage par les urnes ;
- Une légitimité électorale revendiquée, fondée sur les résultats (contestés) du scrutin d’août 2023, qu’il considère comme une élection confisquée.
Ce positionnement est stratégique : Ondo Ossa n’est pas en opposition idéologique ou conjoncturelle à Oligui Nguema, il nie à ce dernier le droit d’exister comme autorité politique légitime. Il ne critique pas la méthode : il conteste le fondement même de la transition.
Dans un contexte où plusieurs anciens opposants ont accepté des postes dans les structures de la transition, la posture d’Ondo Ossa tranche. Il devient l’homme de la « résistance morale », celui qui n’a pas transigé. En politique, cette position minoritaire mais claire peut devenir redoutable, surtout à l’approche d’un processus de retour à l’ordre constitutionnel. Il capitalise sur une idée simple : "je suis resté fidèle au vote du peuple", là où d’autres auraient été achetés par le système.
S’il parvient à cristalliser la frustration populaire qui monte lentement face aux lenteurs de la transition, il pourrait redevenir un acteur central, non plus comme opposant, mais comme alternative.
Qualifiant Oligui de « porteur de sac devenu chef par surprise », Ondo Ossa joue avec brio la carte du mépris élitaire. Il cherche à décrédibiliser la compétence du chef de l’État non sur la base de faits de gestion, mais sur le sentiment d’usurpation et d’improvisation. Ce type de rhétorique, populiste mais efficace, peut séduire les couches populaires lassées des technocrates, des militaires et des réformistes timides.
Cependant, le risque est réel : en se radicalisant trop tôt, sans alliance ni base électorale solide, il pourrait s’enfermer dans une posture de prophète solitaire, sans effet politique concret.
À travers cette déclaration, le clivage se clarifie. D’un côté, Oligui Nguema cherche à donner corps à une transition institutionnelle maîtrisée, avec un équilibre entre rupture et continuité. De l’autre, Albert Ondo Ossa refuse toute forme de consensus avec le système, même transitoire.
C’est le choc entre une légitimité de transition assumée et une légitimité de rupture revendiquée, un affrontement entre deux visions de l’après-Bongo :
-
Oligui veut réformer le système de l’intérieur ;
-
Ondo Ossa veut l’abattre complètement et repartir de zéro.
La sortie d’Albert Ondo Ossa révèle un fait essentiel : le Gabon post-août 2023 entre dans une phase de clarification politique. Si Oligui est aujourd’hui encore perçu comme un homme de rupture, les critiques récurrentes et l’absence de transformation rapide du quotidien gabonais pourraient éroder cette image.
Dans ce contexte, Ondo Ossa pourrait incarner, pour une partie de la population, le recours ultime, non pas par programme, mais par posture. À condition toutefois de sortir de l’incantation pour proposer une alternative structurée.
Le duel Oligui–Ondo Ossa, s’il se confirme, pourrait devenir le clivage politique majeur des prochaines années, et structurer durablement le débat public au Gabon.